Comme l’énonce très bien l’une des premières personnes que j’ai rencontrées au début de cette enquête, Alain Pellé, secrétaire général du Syndicat des Mouvements et Associations (SMA-CFDT) : « Dans les associations, il y a une double logique à l’oeuvre, managériale et militante. On fait le bien, donc on le fait bien. Il y a un impensé pour les salariés, un déni de la situation d’employeur. » Beaucoup de mes interlocuteurs du monde associatif ont également convenu d’une articulation délicate entre l’esprit inventif et innovant des associations et la gestion d’un nombre plus important de salariés en raison notamment de l’augmentation du public accueilli. Les conditions concurrentielles, l’absence de vie démocratique, l’impréparation des associations au salariat, figurent aussi parmi les raisons invoquées pour expliquer cette situation nouvelle. Les mutuelles, où les fusions sont légion, « ressemblent de plus en plus à des entreprises comme les autres », me confiait un vieux routier du secteur… Le mimétisme avec l’économie dite classique laisse une étrange impression. On peut voir se côtoyer aspirations démocratiques et discours managériaux issus des meilleures écoles de commerce. Drôle de mélange des genres ! Puis, peu à peu, j’ai réussi à interviewer plusieurs collaborateurs de mutuelles et d’associations où les situations de travail s’avéraient douloureuses. Ils ont souhaité témoigner de manière anonyme, par peur « d’être grillés dans le milieu », hormis les syndicalistes. Ces salariés, souvent diplômés, m’ont dit se retrouver face à un dilemme : être reconnus comme des professionnels par les directions tout en restant engagés pour des causes auxquelles ils adhèrent. On ne s’oppose pas facilement dans une association qui s’occupe de personnes à la rue, d’accueil de migrants ou lorsqu’on est porté par l’idée qu’on fait bouger le monde ! Ils m’ont souvent fait entendre leur désarroi devant une désorganisation qu’ils ressentent comme une des sources essentielles des risques psychosociaux. Ils m’ont aussi rappelé leur incompréhension devant le silence des conseils d’administration, m’ont confié leur déception, leur malaise et leur révolte en découvrant l’âpreté des nouvelles règles de travail dans un univers jusque-là relativement épargné, comme les mutuelles. Puissent-ils être remerciés pour la confiance qu’ils m’ont accordée. Un contexte contraignant Il faut dire que la période est complexe. Les valeurs des entreprises engagées sont ballottées au gré du marché, les mutuelles doivent se hâter de se regrouper pour ne pas disparaître face à la concurrence féroce des assurances.
Ainsi, afin de réduire leurs coûts de gestion et accroître la diversité de leur offre – assurance voiture, maison, santé et prévoyance, gestion de l’épargne –, les mutuelles se sont, depuis plus d’une vingtaine d’années déjà, agrandies et considérablement concentrées. Elles sont en train de devenir aujourd’hui des entités gigantesques. Une des dernières grosses fusions en date : la naissance du groupe VYV, « mutualiste et solidaire », composé notamment de la MGEN, mutuelle historique de santé et prévoyance des enseignants de l’Éducation nationale et d’Harmonie Mutuelle, elle-même issue d’un regroupement, qui assure une couverture de protection sociale complémentaire auprès de ses adhérents (Chorum appartient désormais à ce groupe). Pour leur part, la MACIF et AÉSIO, mutuelles de santé et de prévoyance, ont entamé un rapprochement… Côté associatif, la commande publique s’impose peu à peu comme le mode de financement majeur à travers les procédures d’appels d’offres, faisant des associations des sous-traitants et non plus des partenaires.
Ces nouvelles pratiques favorisent les plus grandes organisations associatives qui disposent d’équipes pour répondre aux offres des marchés publics dont la complexité est redoutable et chronophage. Confrontées dès lors à la baisse des subventions, les petites et moyennes associations se voient souvent obligées de vendre des services aux usagers, devenus des clients, pour financer leurs activités, comme l’indique la troisième étude1 sur l’évolution des associations de Viviane Tchernonog, chercheuse invitée au Centre d’économie de la Sorbonne (CNRS-Université Paris 1). Ces lames de fond sont à la source d’une précarité très nette dans le secteur associatif : selon les chiffres livrés par L’Atlas commenté de l’ESS en 20172, les CDD représentent 25 % des emplois dans le secteur non marchand contre 15 % dans les entreprises marchandes.